Peter Pescari alias Indie Beard : « le jeu vidéo indépendant aime raconter de belles histoires »

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🎮 bulle aux manettes #2

Peter Pescari, plus connu sous le nom d’ « Indie Beard », est un véritable amoureux du jeu vidéo indépendant. Après des débuts dans la communication à Virgin et la Fnac, il se lance dans sa passion de toujours, le jeu vidéo. Il multiplie les expériences vidéoludiques et en arrive à se forger un nom dans le monde du jeu indépendant. À la fois autoentrepreneur et salarié d’une grosse agence de communication jeu vidéo, il défend corps et âme le jeu vidéo français indépendant dans tous ses projets. Il nous raconte.

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La passion de Peter a commencé avec son père, qui ramenait quantité de machines en tout genre à la maison. ©Peter Pescari

Zena Serhal Comment en es-tu arrivé à te lancer dans le jeu vidéo ?

Peter Pescari J’avais déjà une appétence pour le jeu vidéo. J’ai eu la chance, dans ma génération, d’avoir eu un père qui ramenait ces machines-là à la maison. J’ai connu les premières consoles : Pong, Atari 2600… Mon expérience à Virgin a renforcé ce côté car il y avait un rayon jeu vidéo juste extraordinaire, bien achalandé, en plus de travailler directement avec Nintendo. Après la Fnac, j’ai été responsable du rayon jeu vidéo des magasins Surcouf. En 2010, j’ai créé ma première société de game design et je me suis heurté à des difficultés… Un programmeur coûte cher, et quand tu n’as pas ces compétences-là, c’est compliqué de se lancer… ça a duré un an et demi, à peine. 

En 2016, j’ai monté Indie Beard pour aider de jeunes studios indépendants, mais sans trop savoir ce qu’était le jeu indépendant ni ce que je voulais y faire… J’avais connu Braid [Jonathan Blow, 2008] et Super Meat Boy [Tommy Refenes, Edmund McMillen, Kyle Pulver, 2010], mais je ne les identifiais pas encore comme des créations indépendantes… Je me dis que c’est l’occasion d’aider des développeurs français à mettre en avant leur jeu, avec de la communication, de l’événementiel,  dans des salons, des festivals…

ZS Ta première expérience avec Indie Beard ?

PP Une connaissance était en train de monter son studio et son premier jeu, Nekuia, inconnu au bataillon (rires). Ça s’est construit petit à petit : je l’ai accompagné sur quelques festivals et j’ai rencontré plein de développeurs indépendants. Des organisateurs de festival, comme la Japan Expo, trouvaient l’idée « cool » d’avoir des indépendants. Ils m’ont sollicité, j’ai aimé ça, donc j’ai continué à aider les festivals à créer des zones pour les indépendants.

ZS Pourquoi le jeu vidéo français indépendant ? Était-ce risqué ?

PP Pas vraiment, vu que c’était les festivals qui les prenaient. C’est plus facile de faire venir des indépendants français, de plus que je me retrouvais plus dans ces gens-là. L’indépendant s’est fait au fil des rencontres. Une question de facilité, quoi ! Pour la plupart des indépendants, il y a la contrainte financière. Pour ceux qui bossent à Focus [A Plage Tale, Farming Simulator…], c’est facile, mais les autres… C’est ce côté « garage » qui me plaisait. Tu récupérais tous les développeurs indépendants en Ile-de-France et en région, et là la contrainte financière était moins forte.

Le contact s’est très bien passé avec les développeurs indépendants français. Je suis quelqu’un de très curieux, j’adore rencontrer des gens très curieux aussi et qui exercent un métier que je rêvais de faire. J’ai eu une chance incroyable, le milieu indépendant français est cool. Ils m’ont tout de suite accepté dans leur team.

ZS Pourquoi as-tu imaginé le collectif de streameuses indépendantes Indie Night Fever ?

PP J’aime beaucoup les petits et petites streameurs et streameuses, comme NovaPyjama, elle est authentique. À chaque stream, c’est comme si elle parlait à ses potes… Je lui propose donc de monter un collectif de streaming de jeux indépendants pour leur apporter de la visibilité. L’idée est revenue pendant le confinement, avec une version améliorée beaucoup plus diffusable et réseaux-friendly avec Macdidouce et La Geek en rose en plus. 

Le but était de créer une safe zone où on éviterait les problèmes de harcèlement. Je ne me prend pas la tête : on met les streameuses en avant avec cet angle indépendant. Je leur ai dis : « vous êtes libres de faire ce que vous voulez, on n’impose rien. » Il faut qu’elles se sentent bien avant tout et elles choisissent les jeux qu’elles veulent streamer.

La question de la place de la femme dans le jeu vidéo est très importante pour les acteurs du milieu indépendant. Si on fait un truc pour eux, il faut que ça leur ressemble, que ça porte des valeurs fortes. 

ZS Pourquoi être passé à Warning Up, boîte à l’opposé de ton côté indépendant ?

PP J’en avais marre de travailler tout seul, je ne profitais plus. Ça sortait de ce que je voulais faire initialement et ça me stressait plus qu’autre chose. C’était l’occasion de changer, de travailler en équipe dans la plus grosse agence événementiel communication jeu vidéo en France… Tout en continuant à faire ce que je faisais pour les indépendants mais à une autre échelle, avec plus de budget et l’opportunité de faire de très gros festivals, comme la Paris Games Week ou la Japan Expo… J’ai toujours bossé sur mes projets en y prenant du plaisir, tant que ça le fait je continue, sinon j’arrête.

ZS Tu étais médiateur jeu vidéo à la Cité des Sciences. Comment t’es tu lancé dans cette aventure ?

PP Fabrice Lourie, qui a organisé l’exposition à succès « Jeu vidéo » (2013-2014) à la Cité des Sciences, et Claude Farge, l’ancien directeur, ont voulu créer un espace permanent. Le projet est initié en 2016 et une première version arrive en 2017. Un peu par hasard, je me suis intéressé à la médiation. C’était nécessaire pour que les gens comprennent ce qu’on essayait de mettre en place… La première année, on a invité des journalistes de JV – Le Magazine, des psychologues… le but étant de montrer à quel point le jeu vidéo, grâce à son interaction, était un média à part entière. On a voulu ensuite montrer en quoi le jeu vidéo était en train de se réinventer et qu’aujourd’hui, on ne fait plus seulement du jeu vidéo pour s’amuser, mais aussi pour la santé, pour la recherche… Que c’est un vrai phénomène sociétal.

ZS Comment situerais-tu le jeu vidéo français indépendant aujourd’hui ?

PP C’est drôle : si je te montre deux jeux, tu seras très rapidement capable de me dire quel est le jeu japonais et quel est le français. Les indépendants sont très influencés par leur industrie locale. En France, on aime la narration. On est imprégnés de notre histoire, on aime raconter beaucoup de choses… C’est la spécificité du jeu indépendant, on veut raconter de belles histoires. Il est très politisé, à ses dépens bien souvent…

ZS Selon toi, quelle est la caractéristique principale d’un jeu indépendant ?

PP C’est avant tout un jeu « d’auteur », c’est-à-dire un jeu avec une vision créative très forte mais pas du tout amené à se vendre, plutôt à te faire connaître en tant qu’auteur de jeu vidéo. Mais si tu le restes, tu ne vas jamais en vivre. Je pense que le jeu indépendant aujourd’hui, c’est ça : tu peux être hyper créatif, mais tu as de grandes chances de ne pas trouver ton public à défaut de la reconnaissance médiatique.

C’est désolant de voir qu’en France, beaucoup de jeux trouvent un succès critique mais pas leurs joueurs. Tant que tu restes dans ce milieu, tout le monde s’accorde à dire que c’est beau et créatif, mais personne n’achète. Les créateurs se disent : « je veux faire mon jeu, j’ai une super idée de gameplay, mais je ne vais pas le faire parce qu’il ne va pas se vendre ». Et c’est comme ça que tu fuis chez Asobo [Flight Simulator, Quantum Break…] ou Focus

ZS Des idées pour repenser le milieu indépendant ?

PP J’aimerais qu’on arrive à se dire : ne faudrait-il pas fonctionner comme le cinéma français ? C’est-à-dire un système où on est capable de faire des gros projets qui se vendent très bien, qui rapportent beaucoup d’argent et qui pourraient financer des petits projets dont on est sûrs qu’il ne se vendront pas, mais qui ont quand même besoin d’exister, parce qu’il faut que ces projets existent. 

C’est bien aussi qu’il y ait des jeux créatifs qui ne se vendent pas et d’accepter le fait que des projets ont juste vocation à être créatifs, et d’équilibrer cela avec des jeux qui fonctionnent et qui financent ces jeux à risque. Le jeu indépendant doit toujours garder cet aspect artistique, car ce sont avant tout des artistes qui créent ces jeux.

ZS Comment vit-on actuellement de la création indépendante ?

PP On en vit pas, ou très difficilement. Beaucoup de studios indépendants que j’ai connu, la plupart ont fermé, le reste fait autre chose… Il faut accepter l’idée que ça ne se vende pas mais que ça fasse parler auprès des journalistes. Une économie à deux échelles, où tu as de très gros jeux moins originaux qui se vendent très bien d’autres, plus originaux, moins aguicheurs mais plus élitistes.

Il faut avant tout expliquer aux étudiants et aux jeunes créateurs indépendants qu’ « on a monté cette industrie sur des succès », dixit Erwan Cario. Et qu’à la fin les gens ne se disent pas « peut-être que mon jeu se vendra », mais plutôt « mon jeu ne se vendra pas mais je le fais parce je dois libérer ma créativité ». C’est un milieu difficile, les success stories existent mais sont extrêmement rares. Vous êtes artiste, et est-ce que les artistes ont vocation à vendre la culture ? 


Peter Pescari sera présent à la Paris Fan Festival, le 15 et 16 avril 2023, à Paris Expo Porte de Versailles, Paris 15e.

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