☀️ bulle à l’EJCAM #4
Au quartier de La Plaine, à Marseille, une bonne partie des habitants n’en peut plus de la gentrification forcée. Conséquence directe : l’augmentation des prix de l’immobilier, qu’ils essaient tant bien que mal de contrer.

Depuis quelques années déjà, on voit régulièrement débarquer à Marseille des Nantais, des Lyonnais et des Parisiens qui, valise à roulettes à la main, viennent « passer le week-end dans le sud ». Pour s’aérer l’esprit, se changer les idées, rattraper leur manque en vitamine D… Et pour cause, la cité phocéenne a tout pour plaire : la mer à perte de vue, le climat doux l’hiver, pas moins de 300 jours d’ensoleillement par an, et tout cela à seulement 3 heures de TGV de Paris. Sur le papier, la promesse méditerranéenne a de quoi séduire. Un exode temporaire devenu permanent qui s’est accéléré au lendemain du premier confinement, entraînant la hausse continue des prix de l’immobilier. Longtemps qualifiée de « sale » et « dangereuse », la cité phocéenne est redevenue « hype ». Une tendance qui s’observe notamment à La Plaine (1e-5e-6e).

Aujourd’hui, le prix moyen de l’immobilier à la vente du quartier de La Plaine tourne autour de 3 535 €/m2 contre 3822 €/m2 selon seloger.com en moyenne à Marseille. Un secteur où les loyers restent encore en dessous de la moyenne, mais qui tendent à s’en rapprocher à cause de la gentrification grandissante. Manu, vendeur chez un caviste rue de Lodi, raconte : « je vis ici depuis quatre ans. Je connais le quartier, je l’aime beaucoup. » Mais le désenchantement arrive vite : « je suis arrivé avant que ça flambe, c’était déjà en train de changer depuis une vingtaine d’années, là ça s’accélère… Le quartier devient de plus en plus inaccessible. » Elsa, restauratrice quelques mètres plus loin, évoque également une augmentation des loyers « complètement indécente. » Manu renchérit : « aujourd’hui j’étais en train de me prendre la tête avec ma propriétaire parce qu’elle veut augmenter mon loyer… C’est le problème d’un quartier qui ‘’s’améliore’’. Plus attractif, plus touristique… forcément ça fait monter les prix, et les gens ‘’normaux’’ ne vont plus pouvoir y vivre, même ceux qui ont rendu le quartier ‘’cool’’ ! »

Quartier populaire emblématique situé en plein centre-ville, La Plaine est parvenue, au fil des années, à maintenir une véritable diversité sociale : artistes, étudiants et habitants historiques s’y côtoient tous les jours. Cependant, les dernières évolutions locales tendent à changer progressivement la donne. Selon les habitants, les travaux de requalification urbaine y seraient pour quelque chose. Dernier chantier en date : la place Jean Jaurès, lieu de rencontres incontournable. En 2018, les travaux ont été lancés par la municipalité de Jean-Claude Gaudin (LR), qui vantait la « montée en gamme » prochaine du quartier. Les habitants, rassemblés au sein de l’Assemblée de la Plaine, se sont mobilisés pour refuser ce nouveau quartier « imposé et non choisi ». La place a été néanmoins livrée en 2021 après moult oppositions, et alors que loyers augmentaient.

Si certains habitants ne nient pas apprécier l’amélioration du quartier, d’autres estiment que c’est « une honte ». Arnaud, musicien vivant le quartier, se désole : « c’est les artistes, les déclencheurs de la gentrification. Ça arrive dans un quartier pas cher, ça ouvre des petites galeries et au final ça attire tous les blindés. » Pour l’Assemblée, la SOLEAM (Société Locale d’Équipement et d’Aménagement de l’Aire Métropolitaine) n’a que faire de ces préoccupations. « On va virer les pauvres vers l’extérieur du centre-ville », lance tristement une des membres de l’Assemblée. Selon un communiqué de l’association, Gérard Chenoz, président de la SOLEAM, revendique en revanche une volonté de « faire monter en gamme le marché qui manque aujourd’hui de diversité », mais dément toute volonté de faire en sorte que le quartier perde son « ADN populaire ». Des arguments peu convaincants pour l’Assemblée, qui organise régulièrement des manifestations, dont la dernière en date s’est tenue le 26 novembre.

Ce jour-là, coup de départ de la manifestation antigentrification à 15h30. Pancartes levées, maisons en carton sur la tête, une foule de Marseillais en colère dénonce la hausse indécente des loyers, l’inaction des pouvoirs publics face aux conditions indignes de logement, ainsi que la touristification et la « airbnbisation » en cours. On y crie çà et là : « Marseille, capitale du mal-logement ou du délogement ! », « Airbnb tue nos quartiers ! ». Une manifestante renchérit : « les prix de nos loyers explosent à cause de cette plateforme et nous avec ! » Concernant les annonces Airbnb qui pullulent, « la plupart [sont] postées par des multipropriétaires qui n’habitent pas les lieux », explique Jérôme, agent immobilier implanté dans le quartier depuis quelques années. C’est une des principales volontés de l’Assemblée : interdire Airbnb à ces multipropriétaires qui « possèdent quinze appartements et qui se foutent de la vie de quartier », s’exclame Manon, une habitante du quartier. À l’été 2021, on dénombrait 180 annonces Airbnb à La Plaine. En 2022, 225. Mercredi 30 novembre, à l’issue des États Généraux du Logement à Marseille, l’encadrement des loyers va y être expérimentée par Olivier Klein, ministre délégué chargé de la Ville et du Logement. Une première victoire pour un combat pas gagné d’avance.

« Un boom de l’immobilier indécent » : entretien avec Jérôme, agent immobilier au Cours Julien
Pour Jérôme, agent immobilier connu du Cours Julien, il y a eu un avant et un après COVID. « C’était un quartier qui montait doucement [en gamme], et là les gens s’aperçoivent qu’il peut devenir sympa. » Conséquence : une augmentation des prix, « très loin des +5-10% estimés ». On est plutôt autour des +30%. « Une envolée totalement irraisonnée », estime l’agent immobilier. Un problème majeur pour le quartier, mais aussi pour Marseille, car « beaucoup de Marseillais ne peuvent déjà plus se loger chez eux. » Et le phénomène ne fait que s’accroître. Les habitants historiques de La Plaine sont donc obligés de fuir vers les quartiers limitrophes, notamment situés dans les 3e, 4e, 5e et 13e arrondissements.
Les habitants du cours Julien ne sont donc plus les mêmes. Quartier historiquement populaire, il se gentrifie de plus en plus. Et ça se voit. Tant dans la rue que sur le visage de ceux qui y déambulent. « Les agences ont une énorme clientèle d’investisseurs. Avec les taux très bas, on a eu un boom de l’immobilier », confirme Jérôme, dont la principale clientèle est justement constituées de ces acheteurs-là. Les Airbnb y fonctionnent excessivement bien. Le cours Julien, c’est en effet ce quartier « fun et festif des bars et sorties nocturnes, avec un côté bohème qui plait énormément, près de toute commodités. Que demander de plus ? » Il est aussi tout près du Vieux-Port, qui devient « un peu tristounet le soir ». Un secteur attractif et rentable, en somme. Ainsi, en l’espace de quelques années, on est passé « de 2000 euros/m2 à 3500 euros/m2, une augmentation incomparable aux autres quartiers ». Une évolution que Jérome suit avec attention et qui ne cesse de s’accélérer, en même temps que l’augmentation des prix de l’immobilier de manière générale à Marseille.
