« Je tremble Ô Matador » de Rodrigo Sepulveda : une histoire d’amour queer sur fond de dictature chilienne

critique / sortie ciné

Chili, 1986, juste avant la tentative d’assassinat de Pinochet. Par amour pour Carlos, un révolutionnaire qu’elle vient de rencontrer, La Doña, travestie haute en couleur, accepte de cacher des documents secrets. Adapté du roman de Pedro Lemebel, auteur chilien et activiste gay, Je tremble Ô Matador de Rodrigo Sepulveda séduit par le jeu de ses acteurs et par sa photographie. Sortie le 15 juin 2022.

“Je m’appelle Parfois, N’importe quand, Toujours le dimanche. Je m’appelle Tété, Toto, Milu, Chumilu. Mais tu peux m’appeler La Doña. Je n’ai pas de nom.”

C’est ainsi que se présente La Doña (« la Dame » en espagnol), personnage exubérant et plein de fantaisie. Mais derrière cette insouciance de façade, c’est une personnalité touchante avec pour seul rempart son humour et son charme. La prestation d’Alfredo Castro est tout en justesse. Sans tomber dans le piège de l’outrance, la Doña brille à travers son jeu d’acteur, dépassant ainsi les clichés. Le jeu d’acteur de Leonardo Ortizgris qui joue le personnage de Carlos, le révolutionnaire, est, lui aussi, plein de sensibilité et de retenue.

L’action se déroule sur fond de conspiration contre Pinochet. La Doña est cependant étrangère à ces luttes de par sa marginalité, ce qui introduit une problématique sur l’intersectionnalité dans les luttes de classes où la clandestinité sexuelle de la Doña fait face à celle de Carlos le guérillero, qui est politique.

“Nous on s’en fout de qui nous gouverne. Que ce soit les militaires, les communistes ou n’importe qui d’autre. Pour eux, on sera toujours qu’une bande de folles. Le jour où une révolution laissera la place aux folles, fais-moi signe. J’en serais, et au premier rang.”

Par cette réplique, Sepulveda pose la question de la représentation “des folles” au cinéma comme en politique, tout en excluant les femmes transgenres et les homosexuels du casting, ce qui relève du paradoxe. Les communautés marginalisées sont encore une fois mises à l’index du discours politique alors qu’elles sont au cœur de ces derniers. L’intrigue se concentre sur le projet révolutionnaire d’un attentat contre le dictateur Pinochet. Le sujet de la liberté est donc au centre de ce film qui offre un commentaire sur l’exclusion des “folles” dans la société. Pourquoi ne pas pousser cette réflexion jusqu’au bout en les incluant ?

Le fil narratif manque de profondeur. L’attentat contre Pinochet est traité superficiellement et est en arrière-plan de cette histoire d’amour improbable. On reste sur notre faim et on aurait aimé que le contexte sociopolitique soit plus exploré. La violence, pourtant au cœur de ce contexte historique, se déroule hors champs : celle du régime de Pinochet, celle des guérilleros et celle systémique d’une société machiste et homophobe.

La photographie est très belle : les couleurs délavées et les voiles de lumière dans la poussière donnent un charme au cadre délabré, symbole d’un régime dictatorial fragilisé. La musique quant à elle nous transporte dans l’univers fantasmagorique de la Doña, reine d’un cabaret imaginaire à ses heures perdues.

Rodrigo Sepulveda nous offre ici une jolie adaptation dont les qualités surpassent dans l’ensemble ses quelques défauts.